La communication : un pilier mis à l’épreuve
La communication est l’un des fondements du lien humain. Elle permet de se dire, de se comprendre, de se soutenir, d’exister ensemble. Mais lorsque les repères cognitifs s’effacent, que les perceptions se troublent, elle devient source de malentendus, de tensions, voire de souffrance.
C’est particulièrement vrai avec la maladie à corps de Lewy, maladie neurodégénérative encore trop méconnue, qui altère l’expression comme la compréhension, et ce, de façon progressive, fluctuante et souvent déroutante.
Mais au-delà des symptômes, c’est la relation elle-même qui vacille : un lien singulier entre le malade et son proche, fait d’histoire, d’attachement, de rôles en transformation, et de tentatives pour maintenir le lien alors qu’il est sans cesse mis à l’épreuve.
Une relation fragilisée à plusieurs niveaux
Le lien aidant-aidé est mis à l’épreuve par les symptômes
Les fluctuations cognitives, qui rendent les interactions instables et épuisantes ;
- Le ralentissement mental, qui exige du temps que le quotidien n’offre pas toujours ;
- L’anosognosie, qui empêche la reconnaissance des troubles ;
- Les hallucinations, idées délirantes, comportements inadaptés, souvent mal interprétés.
S’y ajoutent des dynamismes émotionnels complexes : culpabilité, frustration, solitude, impuissance. L’aidant oscille entre le désir de bien faire et le sentiment de ne plus savoir comment s’y prendre.
Et souvent, ce duo malade-aidant est seul
Un isolement renforcé par l’invisibilité de la maladie
Les personnes atteintes de MCL sont encore trop souvent mal diagnostiquées. Les malades et leurs proches sont souvent mal compris ou mal accompagnés.
Comme le rappelle Frédéric Blanc « Malgré cette forte prévalence de la maladie, malgré les difficultés cognitives, que ce soit celles de concentration, de l’organisation ou du ralentissement, malgré les modifications du comportement allant des hallucinations visuelles au délire, en passant par l’anxiété et la dépression, malgré les troubles physiques avec l’hypotension, les chutes, la rigidité physique, malgré tout cela, les malades à corps de Lewy et leurs proches sont encore trop souvent seuls face à la maladie. » (Frédéric Blanc, La maladie à corps de Lewy, Éd. Doin, p. 11-erreur, retrouver la page)
Ce sentiment d’abandon est aggravé par :
- Le regard d’un entourage qui, voyant le malade compenser en société, sous-estime la réalité vécue à domicile,
- L’errance diagnostique, quand les signes précoces sont attribués à l’âge ou à d’autres troubles,
- Les traitements inadaptés (neuroleptiques, antipsychotiques) pouvant aggraver les symptômes, voire mettre la vie en danger,
- Le manque de structures spécialisées, de professionnels formés, de ressources concrètes pour les aidants,
- Des prises en charge mal ajustées, où le malade est comparé à tort à des personnes atteintes d’Alzheimer, et se sent en décalage
- Le manque de formation et d’information des malades et leurs proches sur la MCL.
Une maladie qui bouscule aussi les parcours de vie
Contrairement à une idée reçue, la maladie à corps de Lewy n’est pas uniquement une maladie « de la vieillesse ». Elle peut frapper dès la cinquantaine, parfois même plus tôt, en plein cœur de la vie active. Elle surgit alors dans des parcours familiaux et professionnels encore très investis :
- Des personnes avec de jeunes enfants ou adolescents,
- Des couples actifs, dans lesquels les deux partenaires travaillent,
- Des malades vivant seuls, dont la perte d’autonomie survient sans soutien immédiat.
La maladie vient ainsi rompre brutalement un équilibre de vie encore dynamique
Et pour le proche aidant, ce bouleversement peut être d’autant plus douloureux que sa propre situation est souvent elle-même fragilisée :
- Il peut être lui-même vieillissant, en perte d’énergie ou de santé,
- Ou au contraire, pris en étau entre plusieurs générations, jonglant entre un conjoint malade, des enfants à charge, et des parents âgés en perte d’autonomie.
Ce « sandwich générationnel » est une réalité fréquente mais peu visible, qui ajoute au poids psychique, organisationnel et émotionnel de l’aide au quotidien. Il faut alors non seulement apprendre à communiquer autrement, mais aussi réinventer tout un mode de vie, pour ne pas s’effondrer sous la charge invisible.
Vont également jouer un rôle dans la dynamique malade- aidant proche :
- La personnalité antérieure des 2 personnes,
- D’autres maladies associées (dépendances, pathologies…)
- L’éducation à la MCL ou non.
Une maladie à progression insidieuse, à révélation brutale
Souvent, la maladie s’installe en silence. Des signes diffus apparaissent, absorbés par la routine ou minimisés. Jusqu’à ce qu’un événement déclencheur — stress, hospitalisation, changement d’environnement — fasse éclater les symptômes. Le cerveau, jusque-là compensateur, ne suit plus.
Dans cette tempête, l’aidant tâtonne, essaie, s’épuise. Il peut se montrer rigide, exiger trop, interpréter mal.
Le malade, lui, voit ses capacités s’effriter, souffre d’être mal compris, infantilisé, ou injustement jugé.
Et ce qui est encore plus difficile : le proche est souvent le seul à voir cette réalité. Le médecin, la famille éloignée, les voisins ne perçoivent que la facette que le malade peut tenir quelques heures en société. Et le malade lui-même peut ne pas avoir conscience de l’effet des atteintes sur ses aptitudes dans la vie quotidienne.
Une charge relationnelle et émotionnelle majeure
Ce contexte engendre :
- Un épuisement physique et psychologique ;
- Des états anxieux ou dépressifs, chez l’un ou l’autre ;
- Une bulle relationnelle à deux, parfois étouffante ;
- Un isolement social, un sentiment d’incompréhension ;
- Et des symptômes mal pris en charge, aggravant la souffrance globale.
C’est pourquoi, dans la maladie à corps de Lewy, la communication devient bien plus qu’un outil : elle devient une forme de soin, de soutien, de présence.
Une maladie aux répercussions sociales, professionnelles et financières majeures
Lorsqu’elle survient en cours de vie active, la maladie à corps de Lewy n’entraîne pas seulement des troubles cognitifs et relationnels : elle met aussi en péril l’équilibre économique et social des personnes concernées.
Tant que le diagnostic n’est pas posé — ce qui peut prendre des mois, voire des années — le malade peut être mal compris dans son environnement professionnel. Son comportement fluctuant, ses oublis, ses erreurs ou son repli peuvent être interprétés comme un manque de motivation ou de sérieux, et aller jusqu’à une rupture de contrat pour faute grave.
La perte d’emploi s’accompagne alors souvent d’une atteinte à l’estime de soi, d’un isolement croissant et d’une incompréhension générale.
Du côté de l’aidant, l’épuisement est autant professionnel que familial. Jongler entre son activité, les soins au quotidien, les rendez-vous médicaux, la gestion administrative et la charge émotionnelle devient rapidement intenable, surtout en l’absence de relais.
Nous citons Frédéric Blanc « Les conséquences de la maladie sur l’aidant principal sont ainsi parfois plus importantes que sur le patient lui-même… En effet, la MCL entraîne un fardeau tant psychique que physique pour l’aidant principal qui est significativement supérieur à celui d’autres maladies neuroévolutives… Ainsi, l’aidant doit lui-même bénéficier d’un suivi médical et aussi, souvent, psychologique. » (p.90)
Les enfants, quant à eux, peuvent se retrouver pris dans des tensions familiales douloureuses, face à un parent malade qui change, un autre parent débordé, et un climat émotionnel instable qu’ils ne comprennent pas toujours. Le climat familial peut s’en trouver profondément altéré.
Sur le plan matériel, les conséquences peuvent aussi être lourdes
- Perte de revenus pour le foyer,
- Dépenses de santé mal remboursées,
- Procédures de mise sous administration en cas de dégradation rapide,
- Vente contrainte des biens pour financer les soins ou les hébergements spécialisés.
La maladie à corps de Lewy peut en réalité faire basculer une trajectoire de vie entière, tant pour la personne atteinte que pour son entourage.
👉 C’est pourquoi il est urgent et nécessaire de mieux comprendre ses impacts multiples, pour ajuster non seulement la communication, mais aussi les ressources, les droits et les soutiens à mobiliser.
Concentrons – nous alors sur le noyau familial — ce cercle intime souvent le plus impacté par la maladie — et sur les clés pour préserver, autant que possible, sa cohésion et sa vitalité malgré les épreuves imposées par la maladie à corps de Lewy.